La «Just Culture» sous la loupe

Actuellement, le sujet juridique le plus préoccupant pour nous, les pilotes, c’est la «Just Culture». Le va-et-vient entre rapports d’expériences réjouissants et procédures pénales décevantes dure déjà depuis quelques années. Dorénavant, une lueur d’espoir se profile à l’horizon: le monde politique a lui aussi reconnu la nécessité d’une meilleure définition juridique de la «Just Culture» pour qu’elle fonctionne. En 2021, l’Office fédéral de la justice a confié à la Foundation for Aviation Competence FFAC un mandat d’expertise visant à représenter la situation juridique existante ainsi que les questions juridiques et pratiques. La FFAC a publié cette expertise le 18 janvier 2022, sous la direction du professeur Roland Müller (notamment avec le participation de l’auteur du présent article).

Difficile à comprendre

Dans la pratique, il est hélas difficile pour les pilotes de comprendre la «Just Culture» dans tous ses aspects juridiques – et donc d’autant plus difficile d’évaluer si une déclaration leur sera bénéfique ou néfaste. Ainsi, le règlement (UE) 376/2014 loblige les pilotes à signaler les violations de l’espace aérien, mais en contrepartie leur garantit l’impunité. Celle-ci ne s’applique toutefois que si l’incident n’est pas dû à une négligence grave. L’évaluation nécessaire est effectuée par l’organe de déclaration, respectivement par des inspecteurs de l’OFAC externes à celui-ci. Ils classent les évènements entre «négligence légère» ou «négligence grave». S’il y a présomption de négligence grave, une procédure est ouverte, dans laquelle on examine, en accordant à la personne mise en cause le droit d’être entendue, si le reproche est confirmé.

La demande d’une telle prise de position se présente le plus souvent sous une forme anodine; pour clarifier les faits, on «demande poliment» d’envoyer une prise de position écrite sur les événements et les circonstances. L’explication annexée, sur les droits de la personne concernée, est trop souvent ignorée, et en tant que -pilote, on est tenté – tout à fait dans l’esprit de la «Just Culture» – de faire preuve d’ouverture et d’autocritique sur sa propre erreur. Or, c’est précisément ce qui peut s’avérer être une erreur dans certaines circonstances, car les déclarations recueillies peuvent être utilisées pour déterminer si le pilote s’est rendu coupable d’une négligence grave et constituent la base d’une éventuelle sanction. Des éléments en apparence non pertinents pour le profane peuvent être décisifs pour que l’autorité prenne une décision en défaveur d’une personne concernée.

Dans l’aviation commerciale, ce problème est un peu moins aigu que dans l’aviation générale non commerciale. Les -pilotes professionnels disposent d’un filtre, à savoir l’employeur, organe primaire pour les déclarations, qui si nécessaire, en réfère ensuite aux autorités. Ce filtre manque tout particulièrement dans l’aviation générale. Cette situation entraîne une insécurité juridique qui nuit à la philosophie d’honnêteté: les pilotes de l’AG sont livrés à eux-mêmes pour décider de ce qu’ils déclarent et de la manière dont ils le font. Ils doivent mettre en balance leur souci de sécurité et leur propre protection contre les sanctions.

Ne s’applique pas lors d’enquête sur les accidents

Le pilote est donc non seulement bien avisé de vérifier si l’événement est soumis à l’obligation de déclaration, mais aussi de déterminer comment rédiger au mieux son «occurrence report» pour ne pas s’auto-incriminer. Devoir faire de telles réflexions après un incident n’est bien entendu, pas dans l’esprit de la «Just Culture». Dans cette mesure, l’incertitude qui règne aujourd’hui parmi les pilotes de l’aviation générale doit être éliminée par des mesures correctives. Le législateur devra donc se demander, s’il veut aider la culture de l’honnêteté à s’imposer par des corrections juridiques ou, la considérer comme un échec, par manque de confiance dans son fonctionnement. Il convient aussi de rappeler, très clairement, que le principe de la «Just Culture» ne s’applique justement pas à une enquête sur un accident d’avion et que les conclusions d’une telle enquête peuvent être utilisées (presque) sans restriction dans le cadre de procédures judiciaires.

Philip Bärtschi